
Leurs lieux de prédilection : les carrefours, les feux tricolores, les alentours des mosquées et des services publics, les marchés et les endroits très fréquentés. En ce mois de Ramadan, la mendicité a pris des proportions inédites. Un petit tour au centre-ville permet de se convaincre que le nombre de quémandeurs d'aumône a littéralement explosé. Et ce n'est, certainement, pas par hasard. Le mois de carême n'est-il pas le mois de la solidarité et de la charité par excellence, la période durant laquelle les plus avares sont tentés de délier un peu le cordon de la bourse ? Les mendiants ont bien intégré ce paramètre. ‘En plus, témoigne l'un d'eux, il y a beaucoup de gens qui passent l'année à commettre des pêchés et ils essaient de se racheter à travers de bonnes œuvres comme l’octroi de l’aumône pendant le Ramadan’.
Dans cette ferveur du Ramadan, on compte évidemment les ‘professionnels’, c'est-à-dire ceux qui vivent de charité pendant les douze mois de l'année et les nouveaux venus qui profitent de l'occasion pour se remplir les poches.
Agée d'une trentaine d'années et portant deux jumeaux de 2 ans dont elle dit être la maman, Rokhaya Sène fait partie de cette seconde catégorie. Rencontrée aux alentours de la Grande mosquée de Dakar, notre novice d’interlocutrice lâche tout de go : ‘je ne savais pas que c'était aussi lucratif’. Et de regretter, ‘je l’ai tardivement compris’. De l’avis de Rokhaya Sène, certains mendiants n’ont rien à envier aux salariés parce qu’ils tirent bien leur épingle du jeu. Cependant, la bonne dame est consciente que ‘la mendicité gagne du terrain’ parce que le créneau est porteur et accessible à tout le monde. Le père de ses jumeaux l'a abandonnée, confie-t-elle. Avant le carême, elle assure qu'elle avait du mal à nourrir ses enfants. Elle a donc décidé de tenter ‘l'aventure’. Et ça lui réussit. ‘Ce que j’ai commencé à gagner pendant ce mois était inespéré’, soutient-elle avec un sourire qui en dit long sur sa satisfaction.
Son cas est loin d’être isolé. Les fidèles de la Grande mosquée de Dakar, et de bien d'autres mosquées pourraient en attester. Ces lieux sont littéralement envahis par les mendiants du matin, aux heures de rupture du jeûne.
Fatoumata Sy une veille dame, la cinquantaine environ, croisée à la Mosquée de la Sicap Liberté 3, fait aussi partie du lot des mendiants occasionnels. Le regard fuyant, elle n'a guère envie, avoue-t-elle, d'être vue des gens de son quartier. D’ailleurs, elle tenta de nous interroger pour savoir si nous n'étions pas du même quartier qu'elle, avant d'accepter de répondre à nos questions. ‘Je ne suis pas vraiment une mendiante, mais j'ai pensé qu'en ce mois, les âmes charitables ne manquent pas et c’est pourquoi je suis là’. Et Fatoumata Sy se sent heureuse de son métier d’occasion.
Haro sur la ‘concurrence déloyale’
Si les gens charitables ne font pas la différence entre les mendiants permanents par nécessité et les occasionnels du mois de jeûne, les premiers voient d'un mauvais œil l'arrivée de leurs nouveaux concurrents qui, estiment-ils, leur font une concurrence déloyale. Mariétou Sarr, une sexagénaire qui mendie toute l'année, confirme cette réalité. ‘Ici on sait qui est mendiant et qui ne l'est pas. Au Sénégal, il suffit que quelqu'un commence quelque chose pour que tout le monde s'y lance’, peste-t-elle en dénonçant les ‘opportunistes qui aiment la facilité’.
Se sentant offusqués par ces propos, les mendiants qui sont logés dans la catégorie des ‘occasionnels’ assurent que, de toute façon, eux n’entendent pas continuellement tendre la main et qu'ils laisseront tomber dès la fin du Ramadan. ‘Je ne compte pas m'éterniser là-dedans. J'abandonnerai un jour parce que ce n'est pas mon domaine’, promet Rokhaya Sène qui prévoit sa dernière sortie pour le jour de la fête de la Korité.
Parions que d'autres qui auront pris goût à l'exercice ne seront pas tentés de poursuivre l'expérience dans un pays où la solidarité est une valeur cardinale et où il suffit de peu pour attendrir les cœurs les plus endurcis. La cause est certes louable, mais cette générosité ne nourrit-elle pas le phénomène qui devient un véritable problème de société ?
0 Commentaires
Participer à la Discussion