Le constat est amer pour les professionnels de l’information. Depuis un certain temps, les stars des réseaux sociaux (Tik-tokeurs, influenceurs, snap-chateurs, comédiens) volent la vedette aux médias traditionnels. Lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations et récemment lors l’inauguration du Stade Abdoulaye Wade, ils ont été accrédités, pour la plupart, par des autorités.
Une situation qui a provoqué plusieurs polémiques. L’Observateur a tenté de poser le débat en essayant de donner la parole aux différents acteurs concernés.
La scène est juste hallucinante, mais surtout embarrassante pour les professionnels de l’information. Gouy-Gui 2 s’est présenté à Xavier Ricou comme un journaliste et était à fond, ce jour-là, dans l’exercice. Engoncé dans son ensemble Lacoste blanc, il brandit le micro à l’effigie d’un site Internet de la place pour soumettre au conservateur du musée Pape Bouba Diop à une série de questions. Mais rien de sérieux ! L’interview ressemblait plutôt à une comédie-show. Pas de politesse ! Dès les premiers mots, il s’adresse à lui dans un langage familier. «Ton nom ?», avait-il débité d’un trait. Le «Vous» de la délicatesse et de la civilité avait cédé la place à un tutoiement. Le reste de l’interview s’est aussi déroulé dans un français chaotique ou l’intervenant se faisait violence pour discerner le sens des interrogations. C’était lors de l’inauguration du Stade Me Abdoulaye Wade de Diamniadio. Au moment où le Président Sall tenait en haleine ses hôtes pour montrer à la face du monde ce bijou de 50 000 places, Gouy-Gui 2, de son côté, vendait une image péjorative du journalisme sénégalais.
En seulement 24 heures, la vidéo est devenue virale. Une occasion pour certains de tirer à boulets rouges sur les journalistes sénégalais.
Privilèges et accès à des zones interdites à la presse
A l’image de Gouy-Gui 2, ils sont nombreux à s’affirmer dans le métier du journalisme sans au préalable une formation dûment reconnue ou encore une expérience dans le milieu. Depuis un certain temps, les stars des réseaux sociaux ont commencé à entrer dans la danse. Les snap-chateurs, tik-tokeurs, comédiens et autres influenceurs de ce type ravivent presque la vedette aux médias traditionnels. Mieux, ils bénéficient de certains privilèges que les médias traditionnels n’ont pas, dans la couverture d’événements de grande envergure. Tout récemment, lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations de football, ils ont pris d’assaut le Cameroun. La plupart d’entre eux ont collaboré avec la Fédération sénégalaise de football (Fsf) ou bénéficié de l’appui du ministère des Sports. Au moment où, pour des journalistes sportifs, c’était la croix et la bannière pour s’y rendre. Arborant fièrement la carte de presse, ils ont réussi à accéder à des zones interdites à la presse. Le même scénario s’est joué lors de l’inauguration du Stade Me Abdoulaye Wade de Diamniadio. Les influenceurs étaient encore au-devant de la scène avec leurs cartes de presse.
Les professionnels de l’information, tels que le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics), le Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), ont alerté maintes fois sur ce phénomène, histoire de tenter d’assainir la presse. Mais jusqu’ici, leurs efforts n’ont pas abouti à grand-chose. Même une adoption, puis une promulgation du Code de la presse n’a pas pu décanter la situation. Autant dire qu’avec les réseaux sociaux, on n’est encore loin du compte.
MALAW PIKINE : «J’ai les mêmes capacités de diffusion que les journalistes et autant de mérites»
Il est artiste-comédien et a eu la chance, de vivre de très près la prestation des «Lions» de la Téranga lors de la Can 2022. Malaw Pikine fait partie des artistes qui ont été mandatés par le ministère des Sports pour une couverture. «2 mois avant la Can, j’avais dit à Ousmane Iyane Thiam, président de l’organisation nationale de gestion des activités de masse, que je suis Laobé et porte-bonheur. S’il m’amène à Yaoundé pour la couverture, le Sénégal sortira victorieux. C’était de la plaisanterie, mais il m’avait pris très au sérieux. Ainsi, il m’a acheté un billet d’avion et assuré mon séjour», se réjouit encore l’artiste-comédien. Pour l’influenceur, le choix porté sur son profil n’est pas anodin. Il le doit à sa notoriété. «Je n’ai pas fréquenté une école de journalisme, mais j’ai autant de mérites. D’ailleurs, j’ai arrêté les études en classe de Seconde. Mais je détiens une plateforme qui réunit le monde entier. Quand je poste une vidéo sur mon compte Snapchat, j’obtiens facilement 150 000 vues. Donc, c’est normal qu’on nous sollicite lors des grands événements pour une bonne visibilité.» Pour l’artiste-comédien Malaw Pikine, aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, ils sont en mesure de concurrencer la presse locale. Avec ces 300 K de folowers, il estime avoir plus d’audience que la plupart des médias traditionnels. «J’ai les mêmes capacités de diffusion que la presse. Je suis aussi en mesure de reporter, d’assurer aussi une large diffusion», estime-t-il.
«Dès que la sécurité m’identifie, elle me laisse passer sans difficultés»
Il n’a pas été accrédité lors de l’inauguration du Stade Abdoulaye Wade, mais sa célébrité et ses connaissances lui servent de carte d’entrée lors des événements. Accompagné de son cadreur, Gouy-Gui 95 avait facilement accédé dans l’enceinte et défilait librement comme un journaliste certifié pour interviewer des autorités. «Je n’ai jamais eu un problème d’accès, quelle que soit la taille de l’évènement. Dès que la sécurité m’identifie, elle me laisse passer sans difficultés», a expliqué le lutteur. Mais son entretien avec Xavier Ricou, conservateur du musée Pape Bouba Diop, a fait beaucoup de vagues. En réponse à ses détracteurs, il dira qu’il était juste dans son délire. «J’ai l’habitude, dans mes vidéos, d’interviewer des Blancs et de me débrouiller pour manier la langue française. Ça soulève des fous rires et je fais office de boute-en-train auprès des internautes. D’ailleurs, je peux même dire qu’au-delà de la lutte, c’est ce qui a fait ma publicité. Je suis l’initiateur du concept «Français Mbeur» et j’étais dans cette optique», fait-il savoir.
«Les autorités peuvent recourir, à coups de millions, aux influenceurs, mais elles n'ont pas le droit de leur accorder un statut que la Loi ne leur accorde pas»
Le lutteur de l’écurie regrette les critiques qui ont émaillé sa dernière sortie et dénonce, avec la dernière énergie, la facilité avec laquelle les stars de réseaux sociaux sont accréditées. «Je ne suis pas journaliste. Je n’ai jamais fait d’études en Journalisme. Je suis lutteur et je le clame haut et fort. L’idée de concurrencer les journalistes ne m’a jamais effleuré l’esprit. Dans le site Internet où je travaille, je fais office d’animateur-comédien. D’ailleurs, je condamne le fait que les tik-tokeurs et autres encombrent le métier du journalisme. Je suis bien conscient que cela risque d’entacher le milieu», regrette-t-il.
Le journaliste et expert en communication, Adama Sow, est plus radical. L’ancien journaliste de la RTS parle d’affront et d’humiliation. «Après la "Pawlishisation" des Médias, les autorités viennent d'amorcer une "Kharagnisation" et une "Ketcheupisation" de la presse. Accréditer des "influenceurs" en leur remettant des badges "Presse" relève simplement d'une provocation et une gifle sur la joue gauche des professionnels des médias. Déjà, avec "Kharagne", les hautes autorités avaient fini de porter une baffe terrible à la joue droite des journalistes. Ce n'est que du sabotage et j'espère que les professionnels des médias réagiront à la hauteur de cette forfaiture», s’étrangle l’expert en Communication.
Les autorités sénégalaises, complices d’usurpation de fonction ?
Pour le journaliste, «les autorités sénégalaises, comme la plupart des décideurs, nourrissent des fantasmes à propos des snap-chateurs, tik-tokeurs… «Les autorités peuvent recourir, à coups de millions, aux influenceurs, mais elles n'ont pas le droit de leur accorder un statut que la loi ne leur accorde pas. C'est vraiment regrettable que les autorités sénégalaises soient devenues des complices d'une usurpation de fonction. C'est triste et inacceptable pour la presse nationale qui ne mérite pas cet affront. Ce qui s'est passé lors de l'inauguration du Stade Abdoulaye Wade, mardi dernier, relève d'un acte de sabotage. Aujourd'hui, la presse, qui patauge dans une galère inextricable envahie par des lobbies politiques et affairistes, n'avait pas besoin de ce coup irrégulier et illégal.» Pour l’expert en Communication, Adama Sow, les organisations de la presse doivent réagir vigoureusement contre ce sabordage de la profession.
Un pavé dans la mare des autorités en charge de la délivrance de ces fameuses cartes de presse. Joints par nos soins, des membres du Secrétariat du Gouvernement ont réfuté la thèse selon laquelle, ils les auraient, eux-mêmes, fournis aux comédiens et influenceurs. D’après les informations parvenues à L’Observateur, ils auraient donné ces cartes de presse aux médias qui les avaient sollicités, sans pour autant avoir une maîtrise de leurs usages. Les badges n’étant pas personnalisés, ils auraient pu être utilisés à d’autres fins, par d’autres personnes, étrangères à la presse. Dès lors, leur responsabilité est-elle engagée ?
Une accréditation en plus de la carte de presse
Mamadou Ibra Kane, président du Conseil des diffuseurs et éditeurs de presse du Sénégal (Cdeps), s’est également indigné, face à cette situation. Pour le président du Patronat de la presse, leur action ne peut s’inscrire que dans le cadre de la loi. «La loi dit que, pour couvrir les manifestations publiques, il faut être un journaliste, muni de la carte de presse professionnelle. C’est cette carte de presse professionnelle qui devra servir de laissez-passer pour les journalistes. Toutes les autres personnes qui couvrent les manifestations publiques sans cette carte de presse là, enfreignent la loi. Parce que, pour pouvoir couvrir un évènement, il faut avoir une carte de presse professionnelle. Mais aujourd’hui, c’est très facile de confectionner, avec un logiciel, une carte de presse. Je pense que la carte de presse seulement ne suffit pas pour couvrir un évènement. Il y a beaucoup de gens, sans être des journalistes, qui fabriquent une carte de presse pour pouvoir avoir accès aux manifestations publiques. Et le plus souvent, ces gens-là le font uniquement pour gagner des per-diems. C’est pourquoi, dans certaines manifestations, en plus de la carte de presse, il faut nécessairement une accréditation», conclut-il.
Jackie
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Dana
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