Le conseil d’administration des Industries chimiques du Sénégal a entériné le 15 janvier à Paris la prise de contrôle de l’entreprise par Iffco (Inde) à hauteur de 85% du capital. L’Etat du Sénégal doit également encaisser la somme de 100 millions de dollars (environ 50 milliards de Cfa) le 29 février 2008 prochain. C’est-à-dire d’ici à un mois au plus tard. Les Ics représentent aujourd’hui un investissement cumulé de 750 milliards de francs Cfa. L’Etat du Sénégal détient 47% du capital, Iffco (Inde) 22%, l’Etat indien 4%, SPIC (Inde) 1,5%, Nishoway (Japon) 1,5%, la Côte d’ivoire 3%, le Cameroun 3%, le Nigeria 3%, la France 3% et la Banque Islamique de Développement 3,5%. Conformément à l’acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE, le conseil d’administration des ICS est composé de 12 membres, dont 3 pour le Sénégal et un pour chacun des autres Etats précités. Les travailleurs détiennent moins de 1% du capital, pour une valeur estimée à 300 millions de F Cfa.
Depuis quelques mois, le Sénégal recherchait un nouveau partenaire stratégique pour les Ics en proie à une crise qui s’aggrave d’année en année et qui alourdit la dette estimée à 200 milliards de francs Cfa. À cet effet, M. Madické Niang, ministre de l’Industrie et des Mines, s’était rendu à Paris du 9 au 11 décembre 2007 en vue de rencontrer les dirigeants de Iffco, le partenaire historique des ICS. En réalité, il s’agit d’une recapitalisation, c’est-à-dire une nouvelle répartition des parts du capital, et du financement d’un plan triennal d’investissement. Iffco avait préalablement fait une offre de 80 millions de dollars (environ 40 milliards de Cfa) pour la recapitalisation, et proposé 50% d’abandon de créances et un étalement de la dette commerciale de l’entreprise sur 4 ans. Cette proposition n’a pas rencontré l’agrément des bailleurs et banques locales, rendant ainsi caduque la convention entre Iffco et l’Etat du Sénégal. Une convention rendue caduque parce que jusqu’à son échéance, aucun accord n’a pu être trouvé entre l’Etat et Iffco.
Péripéties
Il faut rappeler qu’Iffco s’était déjà engagé en 1998, alors que Pierre Babacar Kama était le PDG des Ics , à compenser tout manque de liquidité né de l’augmentation du devis du doublement de la production d’acide. Il est notoirement connu que ce manque existe et qu’Iffco, même sur insistance des bailleurs, n’a jamais respecté ses engagements. Entre temps, l’Etat du Sénégal a reçu une nouvelle offre émanant du groupe français Rouiller, qui souhaitait détenir 51% du capital des Ics, regroupant les engrais et les phytosanitaires. Ce groupe français proposait 80 millions de dollars de capital, un investissement de 100 millions de dollars sur 3 à 5 ans, une cession de 15% des actions et de 15% de la production à l’Etat du Sénégal, réservation de 15% de la production d’acide à l’usine d’engrais. Le Sénégal était enthousiaste à l’idée de valider cette offre, mais Iffco, usant de son droit de préemption, s’y est catégoriquement opposé. Ainsi, ne souhaitant pas un contentieux juridique préjudiciable aux Ics, l’Etat du Sénégal avait saisi les autorités indiennes et initié la réunion de Paris, tenue du 9 au 11 décembre 2007. En marge de la réunion, la délégation sénégalaise, conduite par Maître Madické Niang, avait rencontré celle indienne, conduite par le secrétaire d’Etat aux engrais. Cette rencontre avait eu pour objectif de permettre aux deux parties de préciser leurs visions de l’entreprise et d’échanger des informations. C’est ainsi que les Indiens ont pu faire une offre qualifiée de « concrète » par Maître Madické Niang. La proposition porte sur un capital de 100 millions de dollars, aucune exigence d’abandon de créances, qui seront négociées au cas par cas, un investissement de 100 millions de dollars sur 3 ans, une cession gracieuse de 15% des actions à l’Etat du Sénégal et une réservation de 15% de la production d’acide à l’usine d’engrais. Les usines d’engrais qui n’intéressent pas Iffco seront cédées à un repreneur choisi par le gouvernement du Sénégal qui a accepté l’offre, non sans demander et obtenir une avance de cinq milliards de francs Cfa à Iffco, pour faire face aux besoins immédiats. En outre, le Sénégal a posé des conditions au groupe Rouiller qui a souhaité travailler avec Iffco dans l’acide et manifesté son intérêt pour l’engrais. Les conditions portent précisément sur la création d’une société qui reprend la production d’engrais et qui aura 10% du capital des Ics. Cette nouvelle entreprise sera la propriété de Rouiller à 51%, 15% du capital de cette société reviendront à l’Etat du Sénégal et 34% à des investisseurs sénégalais.
Déséquilibre financier
Si on en est arrivé là, c’est que le Sénégal n’a pas pris les mesures nécessaires pour restructurer la société et rétablir l’équilibre financier. « Toute proposition de sortie de crise ne peut être pertinente sans une compréhension du fonctionnement de la société, mais aussi des contraintes tant structurelles que conjoncturelles qui l’ont souvent tenaillée», indique un cadre des ICS ayant requis l’anonymat. En effet, les Ics ont procédé à partir de 1998, à un important investissement de développement d’un montant de 333 millions de dollars (environ 166 milliards Cfa), en lieu et place des 275 millions de dollars (137 milliards Cfa) estimés à l’origine. «Les bailleurs de fonds ne s’étant engagés qu’à hauteur de 130 millions de dollars ( 65 milliards Cfa), tout dépassement aurait dû être financé par les actionnaires». Ces derniers n’ont jamais voulu suivre et se sont fait financer par les banques locales en crédit moyen terme, «ce qui a faussé le niveau d’endettement compatible avec une autonomie financière. Ce ratio d’autonomie a frôlé les 10% entre 2003 et 2004 et serait actuellement de plus de 25% au vu des baisses drastiques du chiffre d’affaires de l’entreprise», souligne notre interlocuteur. En plus de ce déséquilibre financier, notre source relève : «La non-robustesse des hypothèses du business plan du projet de doublement de la production d’acide (le fameux Ics 2)». Il s’agit du prix de l’acide à 550$, seulement atteint au second trimestre de 2007 ; du taux de change du dollar par rapport au FCFA : de 600 FCFA, il a tourné autour de 500 FCFA depuis 2003 ; du ratio frais financier - CA de 3% ; du prix du soufre, stable autour de 35 dollars la tonne, il a atteint 85 dollars en 2003 et se négocie actuellement autour de 190 dollars la tonne.
Les atouts de la société résident principalement dans les réserves en phosphate de bonne qualité (plus de 60 millions de tonnes) et du contrat à long terme avec IFFCO qui achète la totalité de la production d’acide. Il n’y a donc pas de problème de débouchés, d’autant que les cours internationaux sont corrects depuis 2006. La faiblesse de l’entreprise réside actuellement dans «la mauvaise marche de la société depuis 3 ans, doublée d’une politique de maintenance défaillante par manque de moyens, d’où les risques importants sur la fiabilité de l’appareil de production». Le niveau d’endettement est élevé, avec des frais financiers importants (plus de 200 milliards de Fcfa), mais une valeur patrimoniale de près de 700 milliards. Pourtant et malgré ces contraintes, l’entreprise a d’énormes potentialités. Une meilleure gouvernance, sans injonctions démesurées de l’Etat, peut stabiliser son compte d’exploitation et revenir sur le sentier de la profitabilité. Le chiffre d’affaires de la société «dans l’hypothèse d’une utilisation à 80% des capacités de production est de 150 milliards de FCFA avec un cash flow (argent en espèces) de 50 milliards de FCFA» et dans le cas d’une optimisation «le chiffre d’affaires serait de 200 milliards, soit 400 millions de dollars». En résumé, l’Etat vient d’offrir les ICS, une entreprise potentiellement rentable, à Iffco qui achète toute la production d’acide à un tarif plus que préférentiel.
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