
Le jeune artiste Tanor Tita Mbaye est à la fois musicien et peintre. Très engagé sur les questions sociales, il ne rate aucune occasion pour troquer le micro contre un pinceau et exprimer sa vision d’une société juste à travers ses toiles. Cet ancien professeur d’art plastique est fier de son fief, la banlieue.
Dans un quartier de Guédiawaye, précisément aux Hlm Las Palmas, c’est là que nous avons pris rendez-vous avec le musicien Tanor Tita Mbaye.
Le prénom « Tita » est celui de mon père et je le lui ai emprunté », s’empresse de clarifier l’artiste. Nous entrons dans un lieu meublé et éclairé avec sobriété qui lui sert de salle de répétition.
Le goût pour les couleurs et figures ornementales est frappant. Le beige-rouge des cousins s’accommode à merveille avec le noir des chaises en fer forgé.
Cet endroit renseigne sur les qualités de designer de l’artiste Tanor Tita, musicien doublé de plasticien. Un mur de couleur claire, tapissé d’affiches du peintre « Tita père » ainsi que de certains marabouts, figures de proue de la Tarikha tidiane de Tivaouane, viennent ponctuer ce pacte avec les couleurs. Deux guitares, un petit tambour troué, des claviers et des baffles rappellent au visiteur que cet endroit se conjugue avec le mot musique. Travailler avec Tanor, c’est difficile parce qu’à chaque fois, c’est la perfection qu’il cherche, allant « des fois jusqu'à vouloir faire le travail qui nous est de facto dévolu », révèle son frère, Grand Mbaye, artiste plasticien et, en même temps, chargé de la production du groupe.
Un pendentif en forme de cœur soutenu par une chaînette, le geste large de Tanor Tita essaie par ses explications de faire comprendre son degré d’engagement par rapport aux questions abordées. Il grille cigarette sur cigarette et gratte par intermittences sa guitare.
Prémices d’une carrière prometteuse
« Chanter est un art qui englobe tout, et un musicien ne doit pas seulement se limiter au micro. Il faut essayer de titiller d’autres instruments pour multiplier l’inspiration », avance Tanor Tita Mbaye.
Noir de teint, habillé à la mode traditionnelle africaine avec des vêtements en batik, une coiffure bien arrangée, de grands yeux, la quarantaine bien portante, ce célibataire boitillant est plutôt bel homme ou du moins, c’est ce que pensent beaucoup de filles.
Une année importante pour lui, c’est 1986, avec le concours national de la voix d’or qui a rassemblé les jeunes talents. « Je ne pensais même pas participer à ce concours, dit-il, car je ne chantais pas encore ». Visiblement surpris par cette requête inattendue de son fils, « Tita père » a accepté et ce fut le début d’une belle aventure avec la chanson. Plus tard, cette troupe prend le nom d’Association des Nations unies (Asnu) puisqu’elle animait toutes les manifestations de l’Onu ».
C’est ainsi que s’ouvrent les portes du concours de « la voix d’or » organisé par le Centre culturel Blaise Senghor et l’animateur Cheikhou Mbaye, en collaboration avec le ministère de la Culture. « J’ai été premier dans les phases zonales et sélectionné avec la chanteuse Coumba Gawlo pour les phases nationales, parce que l’on ne pouvait pas nous départager ».
Finalement, je me suis classé deuxième, derrière elle, se rappelle-t-il ». Pour récompense, le jeune Tanor a reçu des mains du ministre de la Culture de l’époque, Djibo Léïty Ka, diverses récompenses dont un chèque de 60.000 FCfa.
Cette somme a permis au petit Tanor Tita de prendre conscience de l’importance de l’argent, ce que cela pouvais apporter à une carrière musicale. « Ma permission de faire de la musique était assujettie à mes résultats scolaires. J’étais donc obligé d’avoir de bonnes notes pour pratiquer mon hobby ». Tita sénior continuait toujours à épauler son fils pour plus de professionnalisme.
C’est dans cette dynamique qu'est arrivé le festival « Nanga Dëf » (bonjour en Wolof) qui permet au jeune Tanor Tita de faire son voyage initiatique et de sortir de l’aile protectrice de son père. C’était en 1989, et pour 21 jours, que la Belgique devait être le premier point de chute, avec une autre culture à « affronter », un autre continent qui s’offrait au jeune talent.
Un homme aux facettes multiples
Nos musiciens s’arrêtent souvent au niveau d’études de l’école primaire, et Tanor Tita Mbaye est une des rares exceptions, après le Bac B. Il passe quatre ans à l’Ecole normale supérieure d’éducation artistique et sort avec le grade de professeur en éducation artistique en 1998. Mais après 2003, et son premier produit Thiki Likky sur le marché, managé par son propre label de production et de distribution, Tanor Mbaye déserte les classes. Les élèves n’avaient pas l’habitude de voir un professeur-chanteur. Aussi, « durant les cours, en pleine explication, un malin trouvait toujours le moyen d’entonner le refrain d’une de mes chansons en classe. Ce qui avait le don de déconcentrer mes élèves », se rappelle avec humour M. Mbaye.
Il sort trois productions qui sont toujours centrées sur le vécu des populations. De « Thiki Likky » à « Defël » en passant par le second « Tak Baffi », le compositeur essaie d’être la bouche des sans voix.
Ce qui donne des thèmes liés à l’amour, à l’immigration et à ses corolaires, les mendiants, la recherche de la paix et les relations entre parents et enfants. Tout un style accompagne la production des clips. Pour Tanor, « chaque clip a un design particulier qui est fait par notre directeur artistique Tanor Tita père, professeur d’art plastique à l’Académie des arts de Dakar ». Tout parle, tout est vie dans les supports visuels présentés.
Ce n’est pas seulement des personnes qui se trémoussent avec peine à l’écran. Des tableaux à la décoration expressive. « J’ai chanté 18 années durant avant d’avoir ma première cassette », avertit Tanor Tita Mbaye.
Pur fruit de la banlieue, ce chanteur ne manque jamais une occasion de rendre hommage à Ndongo Lô qui, à son avis, a, pendant des années, su tenir droit le flambeau d’une cité vivante, tant sur le plan culturel que par la valeur des hommes qui y vivent.
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