Oumar Farougou Diallo, un Guinéen de 17 ans, garde un souvenir terrifié de sa traversée de douze jours vers l'archipel espagnol des Canaries. Sa mère a vendu ses vaches pour lui payer le voyage et une vie meilleure. Elle compte maintenant sur lui pour survivre.
"Je préfère mourir que de reprendre un jour la mer", lache ce jeune homme longiligne dans un français approximatif.
Cela fait 20 jours qu'il a quitté la Guinée-Conakry, une ancienne colonie française d'Afrique de l'Ouest dont les habitants gagnent moins d'un euro par jour en moyenne.
"Au bout de trois jours de voyage, le riz était déjà terminé. Il y avait de l'essence dans l'eau", raconte Oumar dans la cour du centre pour mineurs de La Esperanza, sur l'île de Ténérife, entouré d'un groupe d'adolescents qui écoutent en silence le récit de leur propre cauchemar.
"On devait rester immobiles et essayer de dormir malgré le soleil, les moustiques et l'eau salée qui nous brûlait les yeux et les lèvres".
Avant de partir, Oumar était pourtant sûr de lui. Certains de ses amis avaient déjà atteint la terre promise des Canaries, comme les quelque 24.000 autres clandestins africains qui ont gagné l'archipel depuis janvier.
Au début sa mère ne voulait pas qu'il parte. Elle a finalement cédé. Pour payer le voyage de son fils, elle a donc vendu ses vaches, la seule ressource qui lui permettait de nourrir ses six enfants.
La vente des vaches, sur le marché de Koubia, à l'est de la Guinée Conakry, a à peine suffi à rassembler les 500.000 francs CFA de la traversée (environ 760 euros) exigés par les réseaux de passeurs.
Le voyage a été "mon pire cauchemar", avoue le jeune homme, la voix tremblante d'émotion.
"Un matin, alors que la pirogue à moteur déviait vers le Maroc, le capitaine a dit qu'il était perdu. On s'est tous mis à pleurer. C'était le jour plus difficile de ma vie. Je me suis senti 'candidat a la mort'", confie Oumar.
"Les gens disaient 'c'est fini! c'est fini!'. J'étais furieux contre la mer, de voir tant d'océan autour de nous".
Cette nuit-là, un compagnon de traversée, "nerveux" depuis le départ, est tombé dans l'eau et s'est noyé. "On a demandé au capitaine d'aller le chercher, mais il n'a pas voulu".
L'embarcation était pilotée par cinq "capitaines" qui se relayaient, aidés d'un GPS (système de navigation par satellite) et d'une boussole.
La pirogue a finalement été interceptée le 18 août par les autorités espagnoles qui l'ont remorquée jusqu'au port de Las Palmas de Gran Canaria. "Une fois à terre, tout tanguait. Je ne comprenais rien", explique Oumar.
Aux Canaries, il sera prix en charge jusqu'à sa majorité. Au centre La Esperanza, où il cohabite avec une centaine de jeunes, il apprend l'espagnol et le jardinage.
"J'aimerais être mécanicien, électricien, faire des métiers, du bon travail", poursuit Oumar, au bord des larmes: il vient d'apprendre qu'il était difficile de trouver un emploi en Espagne sans papiers.
"Mon père est mort au Libéria pendant la guerre il y a trois ans. Maintenant je dois travailler pour envoyer de l'argent à ma mère. C'est un engagement".
Il y a quelques jours, il a enfin pu téléphoner à sa famille: "Ils ont tous pleuré. Ils n'avaient pas de nouvelles et ils pensaient que la pirogue avait fait naufrage".
"Ma mère m'a demandé si j'étais en bonne santé, raconte-t-il. Je lui ai dit que 'oui' mais qu'elle dise à mon grand frère de ne pas venir".
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