La Section de Recherche de la gendarmerie a réussi jeudi passé, à faire libérer un ressortissant indien conduit à Dakar pour y être kidnappé et gardé à Sendou. En attendant de mieux cerner les contours de cette affaire qui a des ramifications en Inde et en Angleterre, six suspects dont un Sri-lankais, naturalisé français, un Nigérian et quatre Sénégalais ont été arrêtés et déférés au parquet hier. Retour
‘’Un rapt à Dakar’’. Tel pourrait être le prochain livre de l’écrivain indien, Shreekumar Varman. Sauf que dans ce cas, l’auteur pourrait s’inspirer non d’une fiction mais d’une histoire réelle. Une malheureuse expérience qu’il a lui-même vécue. Membre de la famille royale, Varman a été victime d’un enlèvement. Ses ravisseurs réclamaient à sa famille, une rançon d’une rondelette somme de 2,5 millions d’euros, soit 1,637 milliard de F CFA. Cette situation avait mis sa famille dans une grande angoisse du fait qu’en Inde, la prise d’otage est monnaie courante et les chances de survie des victimes sont de 5% même si la rançon est payée. Mais grâce aux moyens humains et techniques, la Section de recherches de la gendarmerie a pu libérer l’otage après six jours de captivité. Le Commandant Issa Diack et ses hommes ont aussi mis la main sur toutes les personnes qui y sont mêlées et qui se trouvent au Sénégal. Il s’agit du présumé cerveau, un ancien policier français d’origine Sri lankaise, … dit Aboul Aziz et son épouse sénégalaise, O. D., un couple nigériano-sénégalais et deux jeunes sénégalais (un restaurateur et un ancien joueur de la Jeanne d’Arc).
Habillage du kidnapping – projet d’extirpation
Pour en revenir au film du rapt, tout est parti de l’Inde où Varman a quitté pour venir conclure une affaire au Sénégal. D’abord, le beau-frère de Varma a été contacté par un indien que nous appellerons S.S. pour lui dire qu’il veut acheter une des peintures de leur famille au profit d’un certain A.B., un autre ressortissant indien basé au Sénégal. Pour cela, il a besoin de rencontrer un membre de la famille à Dakar parce que A. B. est à Dakar dans le cadre d’un projet de construction d’hôtel et de motels. Le beau-frère de Varma étant malade, c’est ce dernier qui descend à Dakar. S.S. devait donc organiser une rencontre avec A. B., au terme de laquelle le précieux tableau devait être cédé à ce dernier. Au même moment, le Sri lankais Abdou Aziz, de son nom adapté depuis sa reconversion à l’islam, naturalisé français, marié à une sénégalaise, O. D., entre en scène. S. S. assure à Shreekumar Varma qu’il n’avait rien à craindre et qu’il est pris en charge entièrement lors de son séjour à Dakar et qu’une suite allait être réservée du côté de l’hôtel Radisson de Dakar. Un homme qui se fait nommer T. M. appelle depuis Londres Abou Aziz pour lui demander de recevoir à Dakar un Indien qui sera là pour rencontrer S. S. Tout est calé, Varma prend le vol depuis l’Inde via Dubaï-Dakar.
Il arrive le mardi 19 janvier à l’aéroport à 14h10 par vol EK797 de la compagnie Emirates. Il contacte S. S. au téléphone pour lui dire qu’il n’y a personne pour l’accueillir. S. S. lui demande d’attendre. Une longue attente, il essaie de recontacter S. S. mais surprise, le téléphone est Off. Il reste sur place. Abdou Aziz le contacte : ‘’je suis un ami de S. S. et je vais passer vous prendre à l’aéroport. J’arrive’’. Attente encore… Mais comme le temps passait, il a pris le taxi pour l’hôtel Radisson. Sur place, il appelle Abdou Aziz pour lui dire qu’il est à l’hôtel. Abdou Aziz le rejoint le soir en compagnie de son épouse. Il convainc l’Indien de changer d’hôtel au motif que c’est trop cher. Il prend une chambre, vers 23 heures à l’hôtel King Plazza dernière Good Rade, vers les résidences Mamoune.
Pour le mettre en confiance, Abdou Aziz lui fait comprendre que S. S. et A. B. étaient arrêtés au niveau de la frontière sénégalo-mauritanienne… Mais dès jeudi, Varma commence alors à organiser son retour. Il commande un billet retour. Le retour était prévu le vendredi à midi. Il réserve un taxi mais ses ravisseurs ne l’entendent pas de cette oreille. Abdou Aziz demande à la réceptionniste de décommander le taxi et qu’il va lui-même le transporter à l’aéroport. Une fois dans le taxi, Abdou Aziz dit au chauffeur : ‘’direction aéroport AIBD’’ Varma remarque que le chemin est anormalement long. Lorsque qu’il lui fait comprendre que le chemin était différent de celui qu’il avait emprunté en venant, Abdoul Aziz lui fait croire qu’au Sénégal, si vous arrivez par l’aéroport Léopold S. Senghor, vous rentrez par celui de Blaise Diagne.
Mais c’était trop tard, le plan pour l’éloigner de Dakar, loin des oreilles indiscrètes était déjà en marche. Et Varman s’est retrouvé dans une résidence à Sendou car son présumé ravisseur lui avait fait croire qu’il avait raté son vol. Une fois à Sendou, Varman accepta de remettre son passeport et son billet d’avion à Abou Aziz qui dans ses manœuvres lui assure qu’il allait s’occuper des formalités de son retour puisqu’il était à l’origine de son retard. La victime ne se doute de rien jusqu’à ce que son bourreau, lui demande le numéro de son fils. Au cours d’un premier appel, l’on fait croire au fils Varman que son père a eu un ‘’petit accident’’. Un quart d’heure, le fils reçoit un second appel qui plongea toute sa famille dans une angoisse totale. ‘’ Nous avons besoin de 2,5 millions d’euros. Sinon tout va tourner mal’’, aurait lâché le mis en cause. C’est en ce moment que la famille prend au sérieux l’affaire. L’ambassade de l’Inde au Sénégal est informée.
Elle saisit la Section de Recherches en lui renseignant que la famille de Varma a reçu un appel téléphonique de Dakar où on leur demande une rançon de 2,5 millions d’Euros contre la libération de Varma. Et que si la rançon n’est pas versée, ils ne verront plus Varma. Etant donné que les jours de la victime sont comptés en matière d’enlèvement, le Commandant Diack et ses hommes commencent à rassembler toutes les pièces du puzzle une à une. Après un travail de fourmi, les correspondants d’Abdou Aziz sont très vite connus et une surveillance a été mise en place. La Gendarmerie met tous les moyens techniques et humains à la disposition des enquêteurs pour arriver rapidement à bout des ravisseurs. Les groupes de d’observation et de surveillance de la Section de recherches sont déployés sur le terrain, appuyés par les éléments d’élite du fameux GIGN. La section aérienne, avec ses avions légers récemment acquis par la Gendarmerie, survole régulièrement la zone où les ravisseurs ont été localisés. La « chasse à l’homme » ne tarde pas à livrer ses premiers résultats. Les premiers à tomber, sont le ressortissant nigérian F. N. et sa fiancée sénégalaise, Nd. M. M. arrêtés le matin. S’en suivra Abdou Abdou Aziz, appréhendé chez lui aux HLM 4. Il conduit les pandores au domicile de sa belle-famille où a sera cueillie son épouse.
Sous la pression intense des recherches, les deux jeunes H. D. et B. Nd. G. recrutés pour respectivement, assurer la restauration et la surveillance de Varman, prennent peur, se rétractent et proposent à Varma de le ramener à Dakar. En fait, en découvrant que les deux étaient préposés à la surveillance de la victime, les enquêteurs ont fait pression sur la famille de H. D. en leur faisant croire ce dernier utilisait un téléphone volé et qu’il était repéré. Lorsque sa sœur l’a appelé à deux reprises pour l’informer de la visite des gendarmes, le jeune restaurateur et son ami ancien footballeur ont compris que les carottes étaient déjà cuites pour eux. Alors, pour limiter les dégâts, ils ont ramené Varman à l’hôtel Radisson. Une tâche qui n’a pas été aisée pour eux, car la victime a déclaré aux enquêteurs qu’il s’était barricadé dans sa chambre durant toute la nuit du mercredi et n’est ressorti qu’après avoir été convaincu par les deux garçons.
Enquête sur fonds de contradictions et de déclarations farfelues des mis en cause
Après l’arrestation de tout ce beau monde, est arrivée la phase d’enquête durant laquelle, Varman est revenu largement sur sa mésaventure. Entendus à la suite du plaignant, aucun des mis en cause n’a reconnu les faits. Même Abdou Aziz présenté comme le cerveau présumé se dit victime lui-même puisqu’il a été mêlé dans cette affaire contre son gré. Selon ses explications, il est arrivé au Sénégal le 23 décembre dernier pour passer des vacances avec son épouse. Et un jour, il a reçu un coup de fil de l’Inde d’une personne l’informant de ce qu’il allait recevoir un mail le 15 janvier. Le mail reçu finalement le 14 janvier, l’informait de l’arrivée d’un Indien le 19 et qu’il devait aller le chercher à l’aéroport pour le conduire à l’hôtel. Selon ses dires, à la date convenue, le vol annoncé à 14h 10 a accusé du retard et il a dû se rendre en ville avec son épouse pour aller manger. Entre temps, Varman est arrivé et s’est rendu à Radisson-Blu.
La personne qui l’avait appelé de l’Inde lui a demandé d’aller le chercher pour le conduire à l’hôtel Kingz-Plazza et lui avait même demandé de payer les frais mais il lui a fait comprendre qu’il ne disposait pas d’argent, a confié Abdou Aziz. Poursuivant son récit, il a ajouté que Varma l’a appelé en lui faisant savoir qu’il allait finalement rentrer le vendredi car sa famille lui avait déjà trouvé un billet. C’est sur ces entrefaites qu’il s’est proposé de l’accompagner à l’aéroport. Seulement dit-il, son beau-frère l’a appelé lui disant que si varma prenait l’avion, l’affaire va couler. C’est en ce moment qu’il a commencé à se poser des questions en se demandant dans quel pétrin il s’est mêlé. A l’en croire, son contact lui a donné comme ‘’l’instruction’’ de faire rater à la victime son vol. Ayant réussi son coup, il a demandé à son épouse de trouver un endroit loin de Dakar et proche de la mer mais également des personnes pour être au service de Varman.
Se disant toujours victime, Abdou Aziz a déclaré à l’enquête que ce n’est qu’à Sendou qu’il a réalisé qu’il était mêlé dans une affaire d’enlèvement. Car, son beau-frère l’a appelé en le menaçant. Il lui aurait dit que s’il n’exécutait pas ses ordres, il fera du mal à sa fille et son mari qui sont à Londres. Parmi ces ordres, il fallait confisquer les documents de voyage de Varman. Ce qu’il a fait mais sans contrainte selon sa version. Il s’y ajoute qu’après avoir laissé la victime à Sendou, le mis en cause a coupé tout lien avec celle-ci. ‘’En communiquant avec lui le samedi, mon téléphone est tombé et j’ai perdu son numéro c’est un appareil bidon c’est pourquoi, je ne pouvais plus le joindre’’, a-t-il tenté de se justifier face aux enquêteurs. Non seulement, il a déclaré que le site de Sendou a été choisi par son épouse mais que celle-ci a recruté le restaurateur et le supposé gardien. ‘’ Ce n’était pas pour le torturer mais pour qu’il soit bien et il a été bien nourri et logé et n’a subi aucune maltraitance’’, a précisé le mis en cause.
Concernant le choix de Sendou, son épouse a soutenu que l’idée vient plutôt de son époux. Selon O. D., celui-ci lui avait fait croire qu’il voulait juste un endroit calme pour un ami qui avait raté son vol. Elle n’a jamais eu de soupçon sauf le jeudi et vendredi quand elle l’a vu communiquer tout le temps en anglais, a-t-elle précisé. Elle a ajouté que c’est que le samedi que son mari lui a confessé l’enlèvement. Aussi se dit-elle victime de son époux qui l’a entraîné dans cette rocambolesque affaire.
Nd. G. l’accuse à son tour d’être la cause de son malheur. D’après l’ancien joueur de la Jaraaf, O. D. qu’il connait depuis une dizaine d’années, l’avait appelé en lui disant qu’elle avait besoin d’un hôtel pour loger un des amis de son mari. Le mis en cause de soutenir qu’il a même proposé dans un premier temps sa villa établie à Sébikotane mais O. D. a décliné sa proposition en lui faisant savoir qu’elle préférait plutôt un endroit proche de la mer. C’est sur ces entrefaites qu’il a fait appel à son ami H. D pour qu’il se charge de la restauration de Varma. L’ancien international a ajouté qu’il a proposé ses services à la dame étant donné que qu’il ne fait rien ces temps-ci.
Clamant leur innocence, il a soutenu qu’ils n’ont jamais soupçonné que l’individu au service de qui ils étaient, était détenu contre son gré. Il a argué qu’ils ont commencé à avoir des soupçons dans la nuit du mercredi lorsqu’ils ont entendu la victime s’exprimer en anglais. Ils lui ont proposé de l’amener à la gendarmerie, mais Varma leur aurait supplié de le conduire à l’hôtel. Son ami a abondé dans le même sens en expliquant qu’il avait fait appel à un de ses amis qui comprend l’anglais. Et c’est grâce à cet ami qu’ils ont compris que l’homme pour qui ils étaient recrutés moyennant 125.000 F CFA, était un otage.
Sous le feu roulant des questions des enquêteurs, les auteurs présumés de l’enlèvement de l’écrivain Shreekumar VARMA finir par craquer et, pour la plupart d’entre eux, avouer leur forfait. Les mis en cause ont été déférés au parquet hier, pour association de malfaiteurs, kidnapping et séquestration.
Cette affaire rondement menée par la Section de recherches de la Gendarmerie dans la plus grande discrétion, a été délicate et complexe à cause des éléments d’extranéité qu’elle comporte… La victime est de nationalité indienne et une partie des auteurs présumés, se trouverait à l’étranger. Il s’y ajoute que le kidnapping est un type de criminalité pas du tout fréquent au Sénégal. Et cette réponse diligente et efficace apportée à la solution de ce rapt, aura le mérite de rassurer les populations et les partenaires du Sénégal, et par la même occasion, donner un signal fort aux délinquants sur les capacités de réaction et de riposte des forces de défense et de sécurité nationale.
Coreen
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