A ses débuts, elle avait suscité beaucoup de curiosité. Aujourd’hui, l’école des maris, un concept qui initie des époux aux travaux ménagers, commence à s’imposer et à susciter l’admiration, en banlieue, notamment à Djeddah-Thiaroye-Kao, première commune où elle a été implantée en 2018.
Cela fait bien longtemps qu’El hadji Fallou Sarr se substitue tous les matins à sa femme pour balayer la cour de la maison, puiser de l’eau ou refaire le lit. Taille moyenne, l’air taquin, El Hadji Fallou Sarr ne s’est plus soucié des remarques désobligeantes de ses voisins lorsqu’ils l’ont vu, pour la première fois, sécher le linge. «Ils sont maintenant habitués et certains nous ont même rejoints», s’esclaffe El hadji Fallou Sarr. Qui se souvient encore de l’époque où l’école des maris était à ses balbutiements. «Au début, les populations nous regardaient de haut, d’autres nous méprisaient parce qu’elles n’étaient pas préparées à voir des hommes, de surcroît, chefs de famille, effectuer des travaux ménagers ou accompagner leurs épouses au poste de santé pour des visites prénatales.» Des pratiques entrées dans les habitudes des populations depuis 2018 avec l’implantation de l’école des maris dans la commune de Djeddah-Thiaroye-Kao. «Une première au Sénégal», se souvient Youssou Bâ, l’un des membres fondateurs qui confie que c’est à l’initiative de l’ONG Plan que l’idée a été présentée à la mairie de la localité, discutée au sein des délégués de quartiers avant d’être adoptée.
Une première cohorte de 20 pensionnaires
Aux premiers jours de classe, ils étaient une vingtaine de chefs de famille, communément appelés «pères-maris» et qui présentent le même profil. Ils sont tous des porteurs de voix écoutés dans leur communauté, afin de pouvoir porter le message aux populations facilement. Ils doivent être également convaincus par «le bien-fondé de la planification familiale», selon Youssou Bâ, l’un des vingt pères-maris, membres de la première cohorte de l’école. Ces membres qui remplissent les critères intègrent l’école dont les cours sont dispensés dans la cour de la maison d’un des leurs du nom d’El hadji Sarr appelé Coach. «Nous n’avons ni professeur ni guide. C’est l’un d’entre nous, acteur communautaire très engagé qui nous accueille dans la cour de sa maison où la leçon du jour porte sur un thème discuté d’avance avec l’infirmier chef du poste (ICP) de santé de Santa Yalla, un quartier de la commune de Djeddah-Thiaroye-Kao », confie Youssou Bâ. Et à l’occasion, ces thèmes varient de la santé maternelle, néonatale et infantile à l’éducation. De même, le thème peut porter sur comment alléger les travaux des épouses à la maison afin d’améliorer leur santé. Bon nombre de programmes à l’école des maris, déroulés par des hommes, tentent de trouver une réponse à cette question.
Dans la cour de la maison du coach Sarr, les hommes sont répartis selon les tâches que les femmes exécutent. El hadji Fallou Sarr, pensionnaire de l’école des maris explique : « Dans un groupe de trois hommes, l’un mime les gestes liés à la cuisine, le second le linge, alors que le troisième imite la gestuelle d’une nounou. Ainsi ces trois tâches qu’une seule femme exécute à la fois dans sa maison sont réparties entre trois hommes. Pendant le cours, l’un des trois hommes se retrouve à effectuer simultanément les trois tâches. L’objectif est d’évaluer la charge que peuvent représenter ces trois tâches effectuées séparément par trois personnes ou alors effectuées simultanément par une seule personne. Cela saute aux yeux que ces tâches effectuées séparément sont plus faciles à supporter que lorsqu’elles le sont par une seule et même personne. Et c’est exactement ce que vivent nos épouses dans nos maisons où elles s’occupent à la fois du linge, de la cuisine et du ménage. Certaines de ces activités peuvent bien être effectuées par l’époux pour reposer un peu la femme.»
Désapprobation et intransigeance de leurs pairs
Après les leçons dispensées par le coach sous la forme de discussions et de travaux pratiques basés sur des thèmes bien précis, arrive l’étape la plus difficile pour les pères-maris : Celle de diffuser et de transmettre les leçons à la communauté pour susciter des changements de comportement chez les hommes à l’égard de leurs épouses. Le pari était à la fois osé et risqué face à la ténacité des barrières sociales et religieuses. Au cours des quatre années qu’il a transmis les leçons de l’école des maris auprès de sa communauté, El hadji Sarr a eu à se frotter à des réactions parfois très virulentes. «On nous disait qu’il n’est pas dans nos habitudes, au Sénégal, de voir un homme aider son épouse dans l’exécution des tâches ménagères ou de l’accompagner au poste de santé et de l’assister jusque dans le bureau du médecin ou de la sage-femme. L’homme doit juste se limiter dans nos sociétés à donner l’argent nécessaire pour l’entretien de la maison ou les soins. C’était la conviction de la grande majorité des époux à qui nous avons parlé.» Faire passer la pilule ne fut pas une chose ardue pour El Hadj Sarr et ses pairs. Au cours des visites de sensibilisation dans les domiciles appelées « Vad ou visite à domicile », dans les mosquées, dans les grands-places, plus d’une fois les pères-maris se sont heurtés à l’intransigeance des hommes. «Certains refusaient de nous parler, d’autres nous tournaient en bourrique pendant que les plus intolérants se défoulaient carrément sur nous. Heureusement, nous étions préparés à ces réactions. Il y a eu des mots très durs à notre endroit. Préparés à cela, nous sommes allés avec tact, en procédant par étapes, pour ne pas bousculer certaines habitudes», confie El Hadji Fallou Sarr.
Les pères-maris, courroie de transmission
El hadji Fallou Sarr, le coach El hadji Sarr, Mamadou Sow, Youssou Bâ, aujourd’hui portés en triomphe dans la commune de Djeddah-Thiaroye-Kao ont permis aux populations de se défaire des carcans culturels. A eux quatre et avec les autres pensionnaires de l’Ecole des maris, ils incarnent l’évolution dans la commune de Djeddah-Thiaroye-Kao où les relations dans les couples sont devenues moins violentes. Au poste de santé de Santa Yalla impliqué dans l’expérience de l’école des maris, on confie que les visites de femmes accompagnées de leurs époux sont devenues plus fréquentes. «Les hommes viennent de plus en plus et cela a considérablement augmenté les visites. Les femmes ne se sentent plus délaissées», assure El hadji Fallou Sarr.
TEMOIGNAGE… FALLOU SARR, PÈRE-MARI : «La première fois que mes enfants m’ont surpris en train de balayer la cour familiale…»
Il fait partie des plus engagés parmi les pensionnaires de l’école des maris. Porteur de voix dans son quartier, il s’est heurté à beaucoup d’obstacles pour convaincre de l’utilité du concept. Des résistances, il y en a eu jusque dans sa famille, ses voisins, ses amis. A l’arrivée, sa patience a payé.
«Mes débuts à l’école des maris n’étaient pas du tout évidents. La première fois que mes enfants m’ont surpris en train de balayer la cour, ils étaient partagés entre le rire et l’envie de me dissuader. Revenus de leur surprise, ils m’ont fait savoir qu’ils n’approuvaient pas ce que j’étais en train de faire. Je me suis posé et je leur ai expliqué que je fréquente une école pour une formation afin de suppléer leur mère dans les tâches ménagères afin de l’alléger. Avec le temps, mes enfants ont compris et depuis, ils m’assistent dans les travaux. L’atmosphère est devenue plus conviviale à la maison (…).
«Ma femme a cru à une ruse pour lui trouver une co-épouse»
Pour mon épouse, c’était plus compliqué. N’étant pas habituée à me voir la suppléer dans les tâches ménagères, elle a d’abord beaucoup rigolé. Puis voyant que je persistais à le faire, elle s’est posée et m’a demandé si tout cela n’était pas une ruse pour lui trouver une coépouse. Je lui ai tout expliqué sur l’école des maris et notre volonté de changer les rapports avec nos épouses en nous impliquant davantage dans la santé maternelle. Et comme je suis très écouté dans ma communauté, je devais donner l’exemple. Suppléer nos épouses dans les travaux domestiques ne change en rien notre statut de chef de famille.»
EL HADJI SARR, COACH DE L’ECOLE DES MARIS MODELES : «Il n’y a pas que les tâches domestiques, toute la chaîne sur la santé maternelle nous intéresse»
Délégué de quartier dans la commune de Djeddah-Thiaroye-Kao, il est le principal animateur de l’école des maris. Les pensionnaires de cette école qui se rencontrent souvent dans la cour de sa maison l’appellent «Coach». El Hadj Sarr est aux manettes dans le choix des thèmes avec le concours de l’infirmier chef du poste de santé de Santa Yalla (ICP). Ce n’est qu’après validation de ces thèmes, qu’il supervise la discussion et les échanges avant de décider du jour et de la méthode pour aller à la rencontre des chefs de famille qui résident dans la commune de Djeddah- Thiaroye- Kao, afin de les sensibiliser. A l’école des maris, les cours dispensés sous forme d’échanges entre les pensionnaires ne portent pas uniquement sur la participation des époux aux travaux domestiques. «Toute la chaîne de la santé maternelle à la santé néonatale et infantile, de même que la santé reproductive, nous intéresse. La non-implication des hommes était le maillon manquant de cette chaîne. Nous voulons désormais combler ce vide», précise le coach El hadji Sarr.
Le Canada séduit par le fonctionnement des écoles des maris au Sénégal
L’expérience de Djeddah-Thiaroye-Kao où a été implantée l’une des premières écoles des maris du Sénégal a séduit le Canada qui, depuis suit attentivement les résultats de ce projet financé par l’ONG Plan International. C’est d’ailleurs dans ce cadre qu’une délégation conduite par un ministre du Canada est annoncée ce vendredi à l’école des maris de Djeddah-Thiaroye-Kao.
Sarr
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Valerie
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