Le 11 janvier, les paysages majestueux du Sénégal, ses couleurs ocre, la foi soufie, et les skunks reggae baignaient doucement le cinéma parisien d’art et essai, L’Arlequin. Autant d’éléments disparates, incarnés en un seul homme, surnommé la «Voix d’or de l’Afrique». Accessible, chaleureux, Youssou NDour a présenté devant un parterre de professionnels les deux événements qui viendront enrichir, au printemps prochain, sa longue carrière de 37 ans : la parution d’un album reggae en hommage à Bob Marley sur le label Universal (8 mars), et la sortie du film I Bring What I Love (31 mars) de la prometteuse réalisatrice new-yorkaise Elizabeth Chai Vasarhelyi, sur l’album Egypt (2004).
Sur les roots reggae
Des notes chaloupées fusent dans la salle, et lèvent le voile sur les premiers titres de Dakar-Kingston. Sur les basses enlevées, le chanteur salue et honore un ami, complice à la réalisation, le mythique Tyrone Downie – compagnon de route de Bob Marley, et artisan des albums de Tonton David et Tiken Jah Fakoly – présent aux premiers rangs. Puis la lumière se tamise, et sa large stature apparaît à l’écran, aux côtés de celle de Youssou dans les légendaires studios Tuff Gong, en Jamaïque. Servies, entre autres, par le très imposant guitariste Earl «Chinna» Smith (Burning Spear, Bunny Wailer, Max Romeo…), ses compositions, dont certaines ont une vingtaine d’années et d’autres quelques mois seulement, proposent une relecture personnelle du reggae par le maître du mbalax. L’icône sénégalaise ne saurait en effet se cantonner aux seules frontières de son pays. Dans sa géopolitique musicale, son art résonne au plus large pour façonner des échos panafricains, modelés par les accents fédérateurs du reggae. A l’Arlequin, un petit clip d’une dizaine de minutes donnait de cet opus et de ses ambitions un pertinent avant-goût.
Question de foi
La deuxième partie de soirée livrait de la star un portrait à la croisée de l’intime et de l’universel : une épopée de sa foi, vision tolérante et ouverte de l’Islam, exprimée en musique par l’album Egypt (2004), enregistré avec l’orchestre du Caire de Fathy Salama. Riche, passionnant, émouvant, ce long documentaire d’une heure 42, achevé après cinq ans de travail et deux ans de tournage acharné (concerts, événements dans le monde entier…) plonge dans l’enfance de Youssou, son héritage de griots, son adolescence, sa famille – un père qui le fait redevenir enfant à 50 ans, une maman soucieuse de la carrière de son rejeton, une grand-mère fragile et forte, personnage quasi irréel…– et son succès planétaire. Le film relie aussi les racines de sa religion, d’une foi qui touche à l’extrêmement personnel, à son amour de la musique, explore cette intimité, ce tournant dans une carrière, qui s’arrange d’événements planétaires et de contraintes sociétales …Le 11 septembre 2001, l’Islam apparaît dans les esprits comme une religion vindicative et intégriste, quand la sortie de son album suscite, au Sénégal, d’innombrables critiques sur une «trahison» de la religion. Mais Youssou NDour reçoit le Grammy Awards, qui soulève dans son pays un vent d’enthousiasme effaçant toutes traces de polémiques. I Bring What I Love s’achève sur le lever de rideau au Carnegie Hall de New York. «Je suis complètement en phase avec la réalisatrice autour de ce film» déclarera l’artiste, qui admire son côté «vrai». Et c’est bien cela que nous saluerons à notre tour : la sincérité de Youssou NDour, comme la sobriété et l’exigence d’un documentaire réalisé avec patience et talent, fort de plusieurs récompenses et très bien accueilli aux Etats-Unis où l’artiste sénégalais fait pourtant office de quasi inconnu. A l’issue de la projection, un Youssou NDour détendu lancera de façon informelle un débat sur la musique sacrée et ses possibles exploitations commerciales et artistiques. Il se félicite d’ailleurs d’avoir contribué à faire évoluer l’art en ce domaine. Un musicien qui a assurément mérité son titre, en 2000, d’Artiste africain du siècle.
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