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De cette chaude journée
pré-hivernale, nous pouvons retenir certains enseignements : un recul de
Wade, chef de l’Etat et chef du PDS face aux citoyens ; un recul du PDS
face à l’opposition ; une attaque des symboles de l’Etat-PDS ; un
silence éloquent des marabouts ; un avertissement aux institutions
nationales ; un avant-goût par rapport à la prochaine décision du Conseil
constitutionnel sur la validité ou non de la candidature de Me Wade ; une
répétition générale de l’ambiance de l’élection présidentielle de février 2012.
Mais pas seulement. Nous
avons vu une solidarité intergénérationnelle ce jeudi : si les jeunes
étaient au front, la génération des Porteurs de pancartes était à portée
d’asile et de conseil à la Résidence Marième Balla Kandji. Les anciens de la
Place Protêt, la baronne Pénéré, Ousmane Sène Blay, Ousmane Diagne notamment,
ont eux-aussi occupé dès les premières heures la ligne de front pour
accompagner la génération de la Place Soweto. Ailleurs, sur les autres fronts
du refus de la loi scélérate, d’autres anciens, embourgeoisés, ont discrètement
transmis le flambeau générationnel.
Ils ne sont pas les seuls à
avoir fait preuve de tact. Ayant pris l’exacte mesure de la colère populaire et
de l’exaspération des manifestants, les autorités, y compris celle du ministère
de l’Intérieur, ont fait preuve de tact et de professionnalisme. Il y a
cependant une certaine hypocrisie et une pratique du double discours consistant
à organiser l’expression de la manifestation populaire tout en empêchant dans le
même temps les manifestants de rejoindre la Place Soweto. J’en ai été le témoin.
On note également
l’inconséquence et l’infantilisme de politiciens adeptes de tartarinades
tarasconnaises et d’agressions, du reste toujours impunies, sur les
journalistes et les activistes des Droits de l’Homme. Cela a été le cas, ce
jeudi toujours, avec la l’agression d’Alioune Tine et d’Oumar Diallo de la
Rencontre Africaine des Droits de l’Homme (RADDHO). Après les attentats restés
impunis contre les sièges de journaux, contre les journalistes, les adversaires
politiques, et tous ceux qui ne souscrivent pas bêtement à la pensée unique.
C’est en réalité un lourd fardeau pour le chef du PDS au pouvoir, pour la
Nation et pour la République. Un vrai nattu.
Face à la violence légale de
l’Etat, incarnée par des forces de l’ordre dont on a vu avec le rappeur Simon
qu’elles organisent des expéditions punitives pour délit d’opinion, une autre
force non légale cohabite sur le champ public et politique. Ce sont les
bodygards des leaders politiques, de véritables armoires à glace, qui dans le
cas d’Alioune Tine et d’Oumar Diallo les auraient préservés de la bêtise et de
la méchanceté de demeurés et de suppôts inconscients de la violence. Cette
violence gratuite et cette impunité font le lit de la milice privée lorsque
l’impartialité et l’égalité devant la loi ne sont pas garanties.
Les manifs de ce jeudi ont
montré, dans la diversité des couches sociales debout à la Place Soweto,
l’unité devant la tentative maladroite d’outrepasser le mandat donné et de
corrompre, par la ruse, l’attachement indéfectible du peuple sénégalais à ses
valeurs communément admises et reconnues. Devant l’Assemblée nationale,
manifestaient main dans la main, côte à côte, la bourgeoisie, les classes
ouvrières, les employés de bureau, les universitaires, les étudiants, les
élèves, les femmes au foyer, les analphabètes en français, les illettrés, les
chômeurs bien entendu, les professions libérales, les marchands ambulants, les
élus, les activistes des droits de l’Homme, les jeunes et les femmes en
majorité écrasante et……les policiers en civil. D’habitude séparés par le niveau
de vie, le rejet de la proposition de loi instituant la réélection de Me Wade
au premier tour et son remplacement par son fils, a non seulement mis le feu
aux poudres mais réussi à les rassembler.
Si le peuple sénégalais a
réussi à faire abdiquer la toute-puissance de Me Wade, la chambre des députés
aura fort à faire pour redorer son blason auprès des Sénégalais. Qu’a-t-on constaté
ce jeudi ? Une rupture plus que consommée entre les populations et leurs
mandants, entre les députés et les populations qui les ont élus, et à travers
eux, les parlementaires de la seconde chambre. Une rupture fondée sur la
trahison et le dévoiement de la mission à eux confiée par ceux dont ils sont
censés être la voix. La honte, les huées, la défiance, les quolibets et la
désacralisation ont été le triste lot des « dépités » du peuple. Pas
de tous heureusement, car il y a eu des députés de la majorité présidentielle
qui ont exprimé leur rejet de la loi et de ses sous-bassement monarchiques. Ils
ont été en phase avec le peuple, avec la raison et le bons sens. Il
n’empêche : les manifestants les ont tous confondus dans leur colère
contre le régime et son Maître. A l’exception de Mously Diakhaté (Jef Jël), de
Me El Hadj Diouf (PTS) et de Cheikh Bamba Dièye, député-maire de Saint-Louis
portés en triomphe comme les généraux romains à leur sortie, tous ont
prudemment guetté à l’abri le départ des manifestants avant de faire du yoxosu à bord de taxis jaune-noir
déglingués. Ils n’ont même pas attendu que passent les taxis iraniens neufs, démarchés
par Me Wade du temps de sa sulfureuse amitié avec le non moins sulfureux
dirigeant iranien Ahmadinejad, qui refilait dans le même temps à notre rébellion
casamançaise des armes pour tuer nos vaillants Jambaars.
L’expression de la vox populi étant irrépressible et
l’éveil des populations incontestable, le pouvoir ne pouvait que prendre le
train en marche et organiser cette expression au risque de se voir imposer
l’aggravation de la colère populaire et de conséquences autrement plus
gratinées qu’une simple révolte contre une loi. Il ne l’a pas fait de bon cœur,
mais il a accepté les conditions qui lui étaient dictées et tenté de tirer son
épingle du jeu en gardant l’initiative. Pour ce faire, le pouvoir a choisi de
subir l’option du compromis dynamique : manifestez, cassez, donnez-vous en à cœur joie,
défoulez-vous, mais dès que le sifflet sonne, la récréation est terminée, tout
le monde retourne en classe, circulez, il n’y a plus rien à voir.
Effectivement, dès que les Sénégalais ont eu la satisfaction d’avoir été
entendus, ils sont tranquillement retournés chez eux.
D’où l’erreur, à notre avis,
d’avoir empêché les jeunes, bloqués au rond-point du marché Sandaga et
ailleurs, d’accéder librement à la Place Soweto. Peut-être était-ce un calcul
de la police, une évaluation du risque de débordement et de passage d’une
révolte démocratique à un déchoukage
du Maître. Mais voyons, les Sénégalais sont des veaux et les leaders de
l’opposition sénégalaise sont des « poltrons » !
Une autre erreur a consisté à proposer au peuple sénégalais, par des libéraux
aveuglés par les sirènes du pouvoir, un marchandage de bazar turc au sujet du
quart bloquant. Vraiment du grand n’importe quoi ! Un marchandage qui a
laissé les gens de marbre. Au contraire, cette stratégie boiteuse a poussé les
manifestants à aller au-delà de leur exigence péremptoire de retrait du projet
de loi instituant une réélection de Me Wade et son remplacement dynastique.
Les manifestants de tous
bords ont admis qu’en définitive, leur combat doit aller jusqu’au départ ou la
démission de Wade, même s’ils ne disent pas exactement comment ils comptent le
faire partir, le président de la République étant élu jusqu’en février 2012.
Avec la déchirure entre les députés et le peuple sénégalais, la défiance contre
Wade, la déconfiture et la dégringolade qui affectent sa popularité d’antan
s’accentue. Il ne fait plus recette sauf lorsqu’il paye les figurants. C’est la
descente aux enfers. Il perd la main avec « son » peuple. Thiat mo gaaw ! Comme il est un
joueur de poker, attendons de voir quelle astuce il va tirer de sa manchette.
Le peuple sénégalais en
encore fait montre de sa maturité, de son sens de la responsabilité dans la
liberté, de sa détermination sans peur ni reproche, de son respect pour les
institutions, de son mépris pour ceux incarnent mal les institutions de son
pays. Dans ce vocable peuple sénégalais, il nous faut différencier la frange de
sa jeunesse, qui s’est particulièrement distinguée ce jeudi à la Place Soweto
et ailleurs par son comportement patriotique et admirable aux côtés des Mamas sénégalaises qui déjà rompues au
combat, à la recherche de la dépense quotidienne. Le décalage était presque
palpable entre les vieux shnocks, les ploucs et les vieilles rombières qui nous
mal gouvernent, qui nous dédaignent, bafouent notre drapeau national et nos
valeurs, corrompent notre sénégalité et nos vertus, et n’ont que mépris et
dédain pour nous.
Mais en toute chose, sachons garder la nuance et la distance : tout n’est pas pourri au royaume du PDS où il y a d’excellentes personnes qui ne sont pas plus mal ni moins bien que les gens de Benno et le reste des Sénégalais. Soyons justes. Je me garderai cependant de les citer nommément, au risque de les voir exposées en victimes expiatoires de la vindicte de leurs camarades « faucons » même pas Maltais.